Dans un contexte national souvent marqué par des tensions entre éleveurs et agriculteurs, le ferrique Kole fait figure d’exception. Situé dans une zone agro-pastorale, ce village démontre qu’il est possible de vivre ensemble grâce à l’adoption de la culture des champs par les éleveurs. La rencontre avec le chef Peul Oumar Ali Paul, leader du ferrique Kole, raconte une histoire de coexistence entre agriculteurs et eleveurs. Son double prénom – musulman et chrétien – symbolise à lui seul la richesse d’une coexistence qui refuse les barrières religieuses et culturelles.
La rencontre d’Oumar Paul Ali
Le téléphone à l’oreille, nous établissons le contact avec notre hôte. Quelques kilomètres plus loin, l’appel revient, comme un fil tendu pour éviter que nous nous égarions dans ce labyrinthe de végétation. La route nous entraîne à travers des villages aux cases rondes coiffées de chaume. Les enfants accourent, pieds nus, levant les mains en guise de salut.
Nous voilà arrivés. Sous un grand arbre, un comité d’accueil nous attend. Des tapis colorés sont déjà étendus au sol. On nous invite à nous asseoir. Des salutations fusent, rythmées de sourires et de gestes de bienvenue. Dans la tradition hospitalière des tasses de lait circulent de main en main. « Goûtez, c’est le lait de nos vaches, pur et doux », lance un homme. Entre deux gorgées, la conversation s’installe, posant les bases d’un entretien empreint de convivialité. C’est alors qu’Oumar Ali Paul, le maître des lieux, prend la parole. Son récit nous plonge dans l’intimité de son histoire personnelle et de celle du ferrique.
Entouré par les membres influents de sa communauté, Paul raconte calmement son histoire, celle d’une communauté, d’un mode de vie et d’un pari réussi sur la cohabitation. Son ferrique se situe entre Makene et Koutoukouman, là où les champs de sorgho et de maïs s’étendent jusqu’à l’horizon. « Avant, on fait le pâturage et on repart au bord du fleuve. Mais le chef de canton de Baïkoro nous a donné ce lieu ». Le chef a dit poursuit Paul, ces Peuls sont nos frères, qu’ils habitent avec nous. « Depuis, nous cultivons la terre et élevons nos animaux ici. »
Une coexistence apaisée
Dans cette communauté agro-pastorale, la terre est au cœur des échanges. « Parfois, nous louons des terres cultivables aux autochtones. Le prix est de 10 000 francs. Si tu en as les moyens, tu peux louer 5 à 10 champs. » Au moment des labours, ce sont les Ngambayes qui arrivent avec leurs bœufs d’attelage pour travailler dans les champs « quand il faut cercler ou labourer, moi et mes enfants travaillons. Mais nous faisons aussi appel à la main-d’œuvre extérieure ». Le prix se discute en avance et une fois l’acceptation le travail se fait. Une tradition qui se perpétue chaque année. « C’est notre force : travailler ensemble », raconte Paul d’un ton paisible.
La vie en commun n’est pas sans accroc. Les champs parfois sont dévastés par les bêtes. Mais Oumar Paul sourit « aucun homme n’est parfait. La langue et la dent se déchirent mais elles sont condamnées à vivre ensemble. Quand un champ est détruit, l’agriculteur identifie le propriétaire des bœufs et lui dit les dégâts. Les deux trouvent un terrain d’entente. S’ils n’y arrivent pas, on saisit le comité de médiation du ferrique. Et si ça persiste, le chef de village tranche. Mais en 38 ans de cohabitation, jamais un conflit n’a fini devant la justice. »
Comme une leçon d’humilité et de prévenir les conflits, un travail de sensibilisation est mené chaque année, « en juillet, nous sensibilisons les éleveurs à mettre les troupeaux en enclos jusqu’à janvier. Ainsi, les champs sont protégés. Après les récoltes, les bêtes sortent et profitent des tiges de sorgho et de maïs. » L’entraide va même au-delà des champs. Les éleveurs prêtent parfois de l’argent aux cultivateurs pour lancer leurs semis, et ceux-ci remboursent après les récoltes. Une économie circulaire de solidarité.
Le prénom Paul, toute une histoire de cohabitation
Derrière le prénom « Paul » dans le nom d’Oumar Ali, se cache une histoire singulière. « Le nom Paul ne vient pas de ma famille », dit-il en riant. Et il raconte :
« Ma mère revenait de Moundou où elle était partie vendre du lait. En chemin, elle a été surprise par une pluie torrentielle. Elle s’est réfugiée chez un pêcheur, Paul Ngourmian. Ce jour-là, elle a accouché de moi, chez lui. C’est au lendemain que mon papa était venu nous cherche, en remettant un coq et 250 francs CFA « une grosse somme à l’époque », précise-t-il en riant pour remercier l’homme qui avait accueilli sa femme et son enfant ».
Autour de nous, les cases et les enclos témoignent d’une vie communautaire organisée. Les rires des enfants résonnent, les femmes pillent le mil, Paul, avec calme et humour, continue son récit.
« C’est là que Paul m’a donné son prénom. Il a dit à mon père : “Quand cet enfant aura 7 ou 8 ans, ramène-le, je l’inscrirai à l’école.” Mais avant cet âge, mon père m’a envoyé derrière les bœufs ».
Au Tchad, donner un nom à un enfant n’est pas une décision ordinaire. C’est un acte lourd de sens, une marque qui suivra la personne toute sa vie. Il est rare qu’un nom franchisse les frontières des communautés religieuses. Pourtant, c’est le cas d’Oumar Ali Paul. Né dans une famille musulmane, il porte un prénom chrétien. Une singularité qui interpelle dans un pays où le prénom est souvent le premier signe de l’appartenance religieuse ou culturelle.
« Quand ce monsieur a dit que l’enfant portera son nom, personne dans ma famille ne s’est opposée », raconte Oumar Ali Paul avec un sourire. Ce choix, accepté sans résistance, est révélateur d’une époque où la question de savoir si l’on était chrétien ou musulman n’avait pas sa place dans les décisions de vie.
Et c’est ainsi que ce prénom, simple en apparence, est devenu le sceau d’une histoire. « Paul, c’est un cachet particulier à ma personnalité », se rappelant d’un récit qui relie les hommes.
Le choix du nom de leur ferrique
Avant c’est le ferrique Makene qui est reconnu mais nous avons rebaptisé le lieu Kole en réalité Holare en Foulata qui veut dire « Confiance ». En d’autres termes ‘’je ne te crains pas, tu ne me crains pas’’ voilà le sens dit-il. Ici nous avons des groupements et à travers nos réunions nous prodiguons des conseils à nos enfants sur la cohabitation pacifique, le vivre ensemble. Dans ses mots, on comprend que ce n’est pas seulement un nom, mais un engagement collectif.