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La « crise froide » agro-pastorale touche le marché de Mandelia
La ville frontalière de Timbéri au cœur du conflit entre éleveurs et agriculteurs

La ville frontalière de Timbéri au cœur du conflit entre éleveurs et agriculteurs

25 janvier 2025.  Un mois et demi après le conflit qui a opposé les sédentaires du canton de Timbéri aux nomades, nous voici à Timbéri, l’épicentre des tensions, situé à 52 km de la ville de Goré.

À première vue, tout semble calme. Nomades et sédentaires circulent ensemble sur la grande voie nationale en latérite rouge qui traverse le village. Après être descendus de notre véhicule, nous nous dirigeons vers le palais du chef de canton, guidés par le drapeau tricolore de notre pays. En chemin, nous remarquons que des autochtones et des allogènes déjeunent dans des restaurants à moitié fermés. Sous un hangar, une dizaine de jeunes hommes et femmes sirotent de la bilibili, une boisson locale tchadienne à base de mil de sorgho. Leurs regards se tournent vers nous. L’un d’eux nous interpelle : « Ce pain que vous avez en main, est-il mangeable ? » Nous lui répondons par l’affirmative et nous approchons pour le lui donner.

Après cette brève interaction, nous reprenons notre route. Arrivés devant le palais du chef, une dame nous accueille. Cinq minutes plus tard, nous lui expliquons que nous sommes venus rencontrer le chef. Elle nous informe qu’il est parti à N’Djamena pour des soins médicaux. Nous lui demandons s’il a un représentant sur place. Avec bienveillance, elle nous conduit chez le secrétaire du chef. Ce dernier écoute les informations de 14h sur les ondes de la radio ONAMA Tchad, installé sous un arbre Nîmes dans sa concession, entourée de pailles.

Après quelques minutes, nous procédons aux présentations et présentons notre ordre de mission, en expliquant brièvement l’objectif de notre visite. La dame qui nous a accompagnés est toujours présente. Dès qu’elle entend que nous sommes venus pour parler du conflit entre éleveurs et agriculteurs, elle s’emporte et se met à insulter les Mbororo, les accusant d’être « des personnes sans cœur » qui « ne verront pas Dieu », car ils tuent et versent le sang des innocents sans aucune crainte. Elle se lance alors dans le récit de son champ dévasté par les bœufs en une seule nuit : deux hectares de sorgho réduits à néant. Veuve et mère de deux garçons, elle dépend de ses propres moyens pour subvenir à leurs besoins. Elle conclut avec amertume : « À Dieu la vengeance, car dans ce pays, il n’y a pas de vraie justice pour les pauvres. » Sur ces mots, empreints de tristesse, elle nous quitte.

C’est à ce moment que nous avons entamé notre entretien avec le secrétaire du chef, qui a pris le temps de parcourir et de signer notre ordre de mission.

Interrogé sur les causes de ces conflits récurrents, le représentant du chef nous a expliqué ceci : « C’est au cours de ces quatre dernières années que les conflits dans cette zone ont pris de l’ampleur. Auparavant, le canton de Timbéri était un havre de paix. Même lorsque les nomades arrivaient du Nord avec leur bétail, les tensions restaient limitées, car leurs troupeaux ne dépassaient pas dix têtes. Mais aujourd’hui, la situation a changé. De nouveaux éleveurs venus du Niger, du Nigeria, du Nord-Cameroun, et surtout en grand nombre, ont débarqué avec des troupeaux bien plus importants. Cela a bouleversé les mentalités. »

Il a poursuivi en soulignant que, par le passé, un agriculteur cultivait deux à trois hectares de terre, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui avec la modernisation. Désormais, il faut huit à dix hectares pour une exploitation viable. Plus les agriculteurs occupent de parcelles, moins ils respectent les couloirs de transhumance. Du côté des éleveurs, un seul d’entre eux peut posséder plus de cinquante têtes de bétail, qu’il ne peut pas surveiller en permanence. Ce non-respect des couloirs de transhumance par les cultivateurs prive les éleveurs d’espace et de passage pour leurs troupeaux.

L’année 2024 a été une année tragique pour le canton de Timbéri. Deux épisodes de ce conflit ont causé de nombreuses pertes humaines et des dégâts considérables, plongeant la région dans la désolation.

À l’issue de notre échange avec le représentant du chef, nous avons rencontré un homme qui se présente comme un délégué, en raison de sa popularité. Pour lui, la situation dans le village est certes calme, mais tout le monde reste sur ses gardes, car la tension peut monter à tout moment. Nous avons ressenti au sein de cette communauté un esprit de haine et de douleur, ainsi qu’un manque de compassion envers les autres, en raison des traumatismes profonds laissés par les événements qu’ils ont vécus.

Le premier incident s’est produit un dimanche, le 16 juillet 2024. Un cultivateur était en train de sarcler son champ lorsqu’un éleveur est passé avec ses bœufs. Ces derniers ont pénétré dans le champ. L’éleveur, armé d’une arme blanche, a tiré sur l’agriculteur, le blessant à la cuisse, alors que celui-ci lui demandait simplement de faire sortir ses animaux de son champ. Face à la répétition de tels incidents, les villageois, voyant leur frère blessé et évacué vers l’hôpital, ont décidé de se battre contre les éleveurs. Cela a entraîné la mort de quatre agriculteurs et de trois éleveurs, ainsi que huit blessés en l’espace de deux jours.

En cherchant à comprendre les motivations des éleveurs, ceux-ci ont expliqué qu’ils réclamaient simplement un espace pour leur bétail, accusant les agriculteurs d’avoir occupé toutes les terres disponibles. De leur côté, les agriculteurs ont rétorqué qu’il s’agissait d’un espace communautaire et qu’ils ne céderaient pas aux « arrivistes » qui cherchent seulement à abreuver leurs troupeaux. L’intervention des forces de l’ordre venues de Goré et de Doba a finalement permis de calmer la situation.

Le 8 décembre 2024, un deuxième incident a éclaté dans le village de Koundou, situé à 5 km du canton de Timbéri. Ce conflit a causé la mort de douze personnes et fait neuf blessés. Des stocks de céréales ont été réduits en cendres, des billets de banque calcinés, et une quarantaine de maisons incendiées. Tout a commencé par la mort d’un clandestin, abattu par un fusil puis découpé. Quatre jours plus tard, une trentaine de sédentaires se sont rassemblés pour attaquer le village de Koundou aux alentours de 5h-6h du matin. C’est à ce moment-là que les dégâts mentionnés ci-dessus ont été constatés. Les blessés graves ont été transférés à Goré et à Moundou.

Cet événement a attiré l’attention du gouvernement tchadien. Sur instruction du président, deux équipes ministérielles ont été dépêchées sur place : le ministre d’État chargé de l’Administration du Territoire et son homologue de la Sécurité Publique et de l’Intégration, accompagnés d’une importante délégation de forces de l’ordre et d’agents de sécurité. Leur mission était de constater les réalités sur le terrain et de compatir avec les victimes. Cette équipe a été accueillie par le gouverneur de la province du Logone Oriental pour une descente sur les lieux.

Lors de cette visite, un représentant des jeunes a exprimé son désarroi en ces termes : « Aujourd’hui, si tu portes plainte contre un éleveur, tu seras traîné en longueur autant que possible. Chères autorités, il n’y a pas de plus grande richesse au monde que de vivre en paix. » Conscient de la gravité de la situation, le ministre d’État chargé de l’Administration du Territoire a saisi l’occasion pour lancer un appel solennel aux chefs de villages et aux responsables locaux, les exhortant à reprendre le contrôle de la situation. « À quoi sert l’autorité de l’État si le peuple se fait justice lui-même ? » a-t-il déclaré.

Malgré les campagnes de sensibilisation menées de village en village avec l’équipe cantonale, ainsi que les rencontres avec les pasteurs, les imams et la population, les conflits entre éleveurs et agriculteurs continuent de s’aggraver. Entre nomades et sédentaires, la peur et la méfiance persistent.

Le Tchad est un refuge pour de nombreux déplacés, dont une grande partie sont des éleveurs peuls et des agriculteurs, sans oublier les Zaraguina (coupeurs de route) et autres malfrats. Timbéri, situé près de la frontière avec la Centrafrique, est entouré de sites abritant des réfugiés qui ont tout perdu et dépendent entièrement de l’aide humanitaire des ONG. Cependant, avec le départ progressif de ces organisations humanitaires, en raison de la décision de l’actuel président des États-Unis, ces réfugiés risquent d’être abandonnés à leur sort. Ils seront alors contraints de chercher des terres à cultiver, alors que l’espace manque déjà cruellement.

La situation échappe de plus en plus au contrôle des autorités, qui peinent à mettre un terme définitif à ces conflits. Par ailleurs, la grande voie qui traverse Timbéri jusqu’à la frontière centrafricaine est dans un état déplorable.

Chers lecteurs, laissez-vous imaginer ce que deviendront le canton de Timbéri et ses environs d’ici 2030 si aucune solution durable n’est trouvée.

Les noms des autorités sont connus par la rédaction.

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