Le commerce du bétail au cœur de N’Djaména
Originaires des régions septentrionales et centrales du Tchad, des éleveurs nomades et des commerçants semi-urbains se sont installés dans la capitale pour y vendre moutons et chèvres. Particulièrement visibles dans le 7e arrondissement – majoritairement peuplé par des habitants du Sud – et dans le 10e arrondissement, à la sortie nord de la ville, ces acteurs de l’économie pastorale occupent les trottoirs, les espaces publics et même les devantures des habitations pour y attendre la clientèle.
Une activité ancestrale qui, en s’installant en milieu urbain, génère des tensions croissantes entre nomades et citadins. Pâturages dans les rues de la ville explore cette réalité complexe, entre nécessité économique et conflits de voisinage.
Scènes de vie urbaine
Le 23 décembre, vers 17h, N’Djaména s’anime d’une effervescence pré-festive. Dans les quartiers de Chagoua, Habena, Amtoukoui, Atrone et Gassi, des centaines de têtes de bétail s’entassent le long des artères.
Alors que je rentrais chez moi vers 19h, un spectacle insolite attire mon attention : un quinquagénaire et son fils adolescent, accompagnés d’un troupeau poussiéreux, viennent d’envahir l’avant-cour d’une habitation privée dans le quartier Atrone.
La barrière linguistique, obstacle aux transactions
De retour sur les lieux le lendemain matin, je me prête au jeu de l’acheteur. Les salutations d’usage en arabe tchadien (« Salamalek abba » / « Maleksalam houlédi ») amorcent un échange cordial.
L’arrivée d’un client francophone sur moto crée soudain une situation cocasse : incapable de communiquer avec le vieil éleveur arabophone, je me transforme en interprète improvisé. Finalement rebuté par les prix, l’homme s’éloigne non sans remarquer : « À Maroua, au Cameroun voisin, un marché spécialisé existe en périphérie. Pourquoi pas ici, alors que N’Djaména se veut vitrine de l’Afrique ? »
L’éleveur me confie ensuite son histoire : « Depuis les années 1990, je viens pour les fêtes du Ramadan et de la Tabaski. Après avoir perdu mon cheptel, je me suis reconverti dans ce commerce. Mon fils m’accompagne désormais – c’est notre gagne-pain. »
Colère des usagers de la route
Nan-Toi-Allah, conducteur de moto-taxi, raconte avec amertume : « Un mouton a failli me faire chuter près de l’ancien Hôtel Santana ! Les éleveurs transforment les routes en parc à bétail. La mairie ferme les yeux, préférant percevoir des taxes plutôt que réguler. »
Commerçants en souffrance
Un gérant de boutique déplore : « Depuis le 20 décembre, leur installation devant mon commerce fait fuir la clientèle. Les odeurs, la poussière, les bêtes sous les tables… Pourtant, nous payons nos taxes municipales ! »
À quelques mètres, Souleymane, agent mobile, peste contre les animaux qui divaguent : « Les clients doivent les contourner pour accéder à mon stand. »
Le pâturage urbain reste une pomme de discorde à N’Djaména. Symbole d’une économie rurale qui s’urbanise, il cristallise les tensions entre tradition et modernité. En l’absence d’infrastructures dédiées, cette cohabitation forcée continuera d’enflammer les relations entre communautés.