La cohabitation explosive entre les éleveurs peuls et le Parc National de Noé
Dans le département du Mayo-Binder au Tchad, une guerre silencieuse oppose depuis des années les communautés peules au Parc National de Noé. Ce sanctuaire de biodiversité, vital pour la faune sauvage, est devenu le cœur d’un conflit aux ramifications complexes entre conservation environnementale et survie des populations locales.
Binder : une terre peule en mutation
Ancienne chefferie musulmane fondée entre le XVIIe et XIXe siècle, Binder est aujourd’hui un canton dirigé par un Lamido (sultan peul). Sa population, majoritairement fulbé, vit traditionnellement de l’agriculture et de l’élevage transhumant.
L’installation du parc national a bouleversé cet équilibre ancestral. « Nous sommes pris entre l’enclume et le marteau », résume un notable local. Les points d’eau et pâturages du parc, essentiels à la faune, sont aussi convoités par les éleveurs dont les troupeaux souffrent de maladies récurrentes liées au surpâturage.
Éléphants vs agriculture : une crise alimentaire en vue
« Les éléphants ont saccagé mon champ de mil. Il ne me reste rien pour nourrir ma famille », se désole Moustapha, agriculteur à Binder. Son cas n’est pas isolé :
150 000 FCFA : investissement moyen perdu par champ détruit
30 sacs de récolte réduits à néant en une nuit
Aucune indemnisation effective malgré les plaintes
« J’ai abandonné mon champ de maïs après sa destruction. En tant que préfet, je ne sais même pas à qui porter plainte », confie l’administrateur du département, lui-même victime.
La colère gronde
Devant la sous-préfecture, la tension est palpable :
« Nous sommes fatigués des promesses ! », s’emporte Hamadou. « À chaque fois qu’on enregistre nos plaintes, rien ne change ! »
L’ONG Noé, gestionnaire du parc, se dit incapable d’indemniser tous les dégâts. Pendant ce temps, les éleveurs dénoncent des amendes abusives (12 500 FCFA par tête de bétail) lorsqu’ils pénètrent dans le parc pour chercher du fourrage.
Mémoire et mobilité : racines du conflit
Oumarou, 96 ans, se souvient : « J’ai vu mon premier éléphant il y a 52 ans près de Kagay. Aujourd’hui, ils viennent dans nos champs. »
Cette modification des comportements animaux s’explique par :
La mobilité intra-parc (recherche de nourriture/eau) et l’expansion hors parc due à la réduction de leur habitat
Exode imminent ?
Face à l’inaction des autorités, des habitants menacent : « Si cela continue, nous irons au Cameroun. » Un cri d’alarme qui interpelle sur l’urgence de :
- Mettre en place des clôtures électriques
- Créer des couloirs de transhumance
- Établir un fonds d’indemnisation transparent
- Impliquer les communautés dans la gestion du parc
Il est donc impératif de trouver l’équilibre entre protection de la biodiversité et droits des populations, avant que cette crise ne dégénère en catastrophe humanitaire.